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L’ACQUITTEMENT D’ESTERHAZY


d’être là, mais Esterhazy avait exigé qu’il déposât[1]. La figure de Lauth, taillée au couteau, dure, méchante, sur un corps mince et souple, respirait la haine. Du Paty posait, le corps droit, la tête haute, le monocle dans l’œil. Et Henry, avec son aspect de boucher, le sang toujours au visage, lourd, massif, frôlait Mathieu, semblait chercher une querelle[2].

Leblois était parti l’avant-veille pour Strasbourg, où son père, le vieux pasteur du Temple Neuf, venait de mourir. Il l’enterre aujourd’hui, mais il sera là demain.

Le greffier appela les témoins, qui défilèrent devant le conseil, puis rentrèrent dans leur chambre. Le rapport de Ravary fut lu par Vallecalle, en leur absence. Trarieux, Jaurès, d’autres spectateurs encore, observèrent que les mêmes faits avaient été invoqués comme des charges contre Dreyfus et, maintenant, étaient portés à la décharge d’Esterhazy[3].

Le commissaire du Gouvernement avait précédemment réclamé le huis clos ; le conseil rendit aussitôt son jugement, à la majorité de cinq voix contre deux : « Les débats seront publics jusqu’au moment où leur publicité paraîtra devenir dangereuse pour la défense nationale[4]. » On a vu que ce moment avait été précisé par Esterhazy : jusqu’à l’audition des témoins militaires et des experts.

À la séance de l’après-midi, le général de Luxer interrogea Esterhazy, d’une voix sèche ; l’accusé, très calme, avec une parfaite désinvolture, raconta, pour la centième fois, son roman de la « dame voilée ». Le gé-

  1. Note de Du Paty à Esterhazy : « Le général se fera citer, c’est entendu. »
  2. Souvenirs de Mathieu Dreyfus.
  3. Procès Zola, I. 388, Quillard ; 390, Jaurès.
  4. Procès Zola, I, 267, Pellieux : « La meilleure preuve que le conseil a été indépendant, c’est qu’il a refusé le huis clos. »