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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


néral montra quelque curiosité : « Quel intérêt avait-elle à vous renseigner ? — Elle semblait poussée par un besoin impérieux de défendre un malheureux. — Pourquoi se cachait-elle, ayant quelque chose à dire dans l’intérêt de la vérité ? — J’ai juré de ne pas chercher à savoir d’où lui venaient ses renseignements. » Luxer observe que la police a cherché en vain les cochers qui l’avaient conduite à ses rendez-vous. Esterhazy, décidément, trouve le beau général trop bête et réplique, transcendant d’ironie, mais en gardant une attitude très militaire : « Tout ce que j’ai dit est aussi vrai que je suis innocent[1]. »

Sur tout le reste, il fit à peu près les mêmes réponses qu’à Pellieux et à Ravary. Cependant, il ajouta à ses mensonges ordinaires une sottise qui eût suffi, à elle seule, devant des juges non prévenus, à le convaincre de son crime. Il racontait les prétendues perquisitions qui auraient été faites chez lui, à l’automne de 1896, « des cambriolages opérés sans mandat, sans droit, pendant des mois, au mépris de toute justice et de toute protection due à un citoyen ». Il s’en était aperçu à son retour de la campagne. Les armoires étaient forcées, ses correspondances bouleversées ; un carnet de notes, prises par son père en Crimée, avait été volé.

« Qu’avez-vous supposé ? » lui demanda Luxer. Il n’avait rien supposé du tout, puisqu’il n’y avait pas eu, chez lui, la moindre perquisition. Il répondit : « Que c’était Mathieu Dreyfus ! »

Pour qu’il eût pu faire alors une telle hypothèse, il eût fallu que, déjà, il se crût soupçonné, par le frère du condamné, d’être l’auteur du bordereau. Or, à l’automne de 1896, Mathieu Dreyfus ignorait son nom.

  1. Procès Esterhazy, (compte rendu sténographique), 125.