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L’ACQUITTEMENT D’ESTERHAZY

Une lueur traversa-t-elle le cerveau du général, ou demanda-t-il, sans penser à mal, à quelle date exacte l’accusé s’était rendu compte de ces incidents ?[1] Esterhazy, en tous cas, s’effraya de sa bévue et, cherchant à s’en tirer, s’embourba davantage. Il dit qu’il avait constaté « ces actes abominables », au moment même où il avait été dénoncé par Mathieu (quoi ! plus d’un an après le départ de Picquart !), mais que déjà, en octobre 1896, il avait eu les preuves d’un premier cambriolage ; seulement, il l’avait mis sur le compte de domestiques qu’il renvoya. On avait pénétré chez lui « des masses de fois ».

Luxer, n’y comprenant plus rien, n’insista pas. Si les plaignants avaient pu suivre les débats, poser des questions, Esterhazy, enserré, quelque souple qu’il fût, était pris.

On glissa sur les lettres à Mme de Boulancy : « Il y en a une que je nie formellement. » Il refusa de dire ce qu’était le document libérateur : « Le ministre m’en a accusé réception. »

Sur une observation plus dure de Luxer, il reconnut qu’il était endetté, qu’il avait une liaison irrégulière, « mais c’était une faute et non un crime » ; enfin, il demanda que lecture fût donnée de ses notes, qui étaient excellentes[2].

Il avait parlé avec sa verve ordinaire, jouant très bien le personnage du reître calomnié. Le public lui était très sympathique.

Au contraire, les dépositions de Mathieu et de Scheurer

  1. Les rédacteurs judiciaires présents à l’interrogatoire comprirent la faute qu’avait commise Esterhazy : « Puisqu’il ne savait pas la cause de ces cambriolages, pourquoi ne s’adressait-il pas tout uniment au commissaire de police ? Personne ne songea à lui poser la question. » (Fronde du 11 janvier ; etc.)
  2. Procès Esterhazy, 138.