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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Il était malade (d’une cruelle sciatique), se traînait à peine : il avait fallu le porter à l’audience. Et, suivant les débats avec une attention soutenue, paraissant, pour la première fois, à une barre de conseil de guerre, il avait été ému par le ton sec et dur de Luxer interrogeant Esterhazy. Celui-ci le rassurait : « Mon acquittement est certain. — Il faut faire, lui dit Tézenas, comme si vous pouviez être condamné. » Et, comme il eût fait aux assises, il plaida à fond, méthodiquement, sur tous les points. Il affirma l’existence de la dame voilée (qu’il identifiait, à part lui, sur des propos intentionnellement échappés à Esterhazy, avec la marquise Du Paty). À la vérité, le rapport des experts le gênait ; il le trouvait obscur, incompréhensible. Mais sa foi n’en fut pas ébranlée. La preuve de la machination, c’est l’histoire du manuscrit d’Eupatoria (il y insista beaucoup) et, encore, les procédés suspects de Picquart, convaincu de mensonge par ces témoins irrécusables : Gonse, Henry, Junck, Lauth, l’élite de l’impeccable État-Major.

Cette plaidoirie, si minutieuse, donna aux juges l’illusion qu’ils allaient statuer dans la pleine et entière liberté de leur conscience. Ils se retirèrent dans la chambre du conseil. Les gardes emmenèrent Esterhazy. En traversant la salle des témoins, comme il passait devant Picquart, il salua.

La délibération dura trois minutes[1].

Les portes de la salle furent rouvertes au public et

  1. « Après la plaidoirie de Me Tézenas qui prit fin à 8 h. 5, le conseil se retira pour délibérer. Trois minutes s’écoulent, et les juges rentrent dans la salle d’audience. » (Temps du 13 janvier 1898.) — Jeanmaire, secrétaire de Tézenas, à un rédacteur du Soir : « Cette délibération n’a pas duré plus de trois minutes, juste le temps matériel de poser les questions. Je n’avais pas eu le temps de ranger mes papiers que les juges rentraient. »