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L’ACQUITTEMENT D’ESTERHAZY


aux témoins ; Picquart se plaça au premier rang.

Le général de Luxer donna alors, d’une voix ferme, lecture du jugement : à l’unanimité, Esterhazy était acquitté[1].

Un tonnerre d’applaudissements et de cris éclate : « Vive la France ! À bas le Syndicat ! »

Le président fait à nouveau évacuer la salle, puis, suivi des juges, se retire[2]. On introduit alors Esterhazy. Le greffier, devant la garde assemblée qui présente les armes, donne lecture du jugement : « Au nom du peuple français… »

Esterhazy, insensible, sans un muscle qui tressaille, reçoit alors les félicitations de ses amis, journalistes, officiers, et d’inconnus, de femmes qui tiennent à honneur de lui serrer la main. Un vieil adjudant à moustaches blanches, la poitrine constellée de décorations, lui donne l’accolade. Émotion factice chez quelques-uns, sincère chez presque tous. Tous ces yeux pleins de larmes ne sont point menteurs.

Saussier, vite prévenu, s’est empressé de signer et d’envoyer l’ordre de mise en liberté.

Esterhazy a peine à se frayer un passage à travers la foule pour rentrer à la prison, y procéder à la formalité de la levée d’écrou et revêtir, modestement, un costume civil.

Mille à quinze cents hommes assiègent les abords du Cherche-Midi, poussent des acclamations ; les mains se tendent vers le triomphateur. Quand il franchit le

  1. Procès Zola, I, 247, Pellieux : » Si j’ai participé à cette œuvre d’acquittement, j’en suis fier. » — L’un des juges, Bougon, écrira plus tard : « Dans le doute, on acquitte ; condamner, ce serait infâme. » (Progrès de l’Oise du 29 novembre 1902.)
  2. Les journaux (Libre Parole, Intransigeant, Patrie, etc.) inventèrent que le général de Luxer et les juges félicitèrent Esterhazy, l’embrassèrent. — Voir p. 217, note 1.