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LA CRISE MORALE

Le doyen d’âge de la Chambre, — Boysset, ancien proscrit de Décembre, qui était tombé dans l’antisémitisme[1], — s’était écrié, deux jours auparavant : « Il faut que tout soit franc et clair ! » Brisson reprit la formule, qui fut d’autant plus applaudie que cette invocation à la sincérité et à la lumière permettait d’être plus obscur et plus équivoque. Il célébra l’usage qui veut qu’au début de chaque session le plus vieux député monte au fauteuil, escorté des plus jeunes. Cet usage atteste « la solidarité des générations ». Pourtant, il termina par quelques phrases vigoureuses sur « les périls de la dictature », « l’anarchie familière aux gouvernements qu’on appelle des gouvernements forts et qui s’effondrent tout à coup » et « le cercle sans fin des révolutions et des reculs ».

Il annonça ensuite qu’il était saisi d’une interpellation du comte de Mun.

De tous les ministres, un seul, celui des Finances, Cochery, s’était rendu à la Chambre. Il eût voulu discuter le budget. Il balbutia que ses collègues, Méline et Billot, n’avaient pas été informés de l’interpellation. De Mun lui donna le démenti : « J’ai fait avertir le ministre de la Guerre, il y a cinq quarts d’heure, par un attaché de son cabinet ». La droite, impérieuse, cria au Président de suspendre la séance jusqu’à l’arrivée des ministres. C’était l’injonction formelle d’avoir à poursuivre immédiatement Zola. Un député normand. Goujon, observa : « M. Zola peut bien attendre jusqu’à la fin de la séance ! » De Mun riposta : « L’armée n’attendra pas ! »

Quoi ? Une heure ou deux ? Et que fera-t-elle d’ici là ?

La séance fut suspendue.

  1. Il dit à un collaborateur de Drumont : « Je ne lis que votre journal. » (Libre Parole du 10 janvier 1898.)