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LA CRISE MORALE

Billot obéit : « Je remercie M. de Mun de m’avoir appelé à la tribune. » Puis il bafouilla, à son habitude, pompeusement : « Les auteurs de ces attaques antipatriotiques affaiblissent, de gaîté de cœur, le prestige nécessaire pour assurer la victoire. » Il compara, encore, l’armée au soleil.

Jaurès, longtemps l’orateur favori de la gauche, écouté par ses adversaires avec bienveillance, se risqua : « Quoi ! une fois encore, l’intervention du ministère, au lieu d’être spontanée, se produit sur une sommation de la droite ?… Qui sera dupe de cette diversion contre la presse ? Croit-on qu’on parviendra ainsi à plonger dans l’ombre la responsabilité de l’oligarchie militaire ? » Il rappela, d’un mot, ce redoutable problème des Républiques : concilier la loi générale d’une démocratie libre et le fonctionnement d’une vaste armée avec sa discipline et ses règles spéciales. « Je vous dis que vous êtes en train de livrer la République aux généraux. »

La gauche, le centre murmuraient. Quelques socialistes, à peine, applaudirent.

Billot recommença à déclamer. Il reprocha à Jaurès d’avoir « renouvelé, aggravé, une partie des attaques de Zola ». (Jaurès ne l’avait pas nommé.) Il jura ensuite, que « jamais, les grands chefs militaires n’avaient été plus respectueux de la loi, plus soumis à la discipline ». — Il y a quelques jours, il avait voulu se battre avec Boisdeffre. — « Je suis un gardien fidèle de la République ; j’ai contribué à la fonder ; je suis un vieux républicain. »

Comme on ricanait à l’extrême-gauche, Brisson couvrit Billot : « Vous demandez que le pouvoir civil soit respecté partout : il est ici, à la tribune ! » Billot reprit : « Laissez l’armée à son œuvre sainte, sacrée… »