Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
236
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Cela sonnait si faux, l’homme inspirait tant de défiance que Cavaignac crut le moment venu de le renverser, rien qu’en le poussant.

Le discours de Cavaignac, à son ordinaire bref et nerveux, comprend deux parties. Il rompt publiquement avec Jaurès, au nom des radicaux qui ne veulent pas laisser dire (aux électeurs) que « la défense de l’armée vient de la droite ». Il va démontrer, ce qui semble un paradoxe, que Billot eût pu, d’un mot, d’un seul, arrêter la campagne pour Dreyfus et qu’il ne l’a pas voulu.

On savait l’ancien ministre de la Guerre enragé de ne plus l’être et cela ôtait du poids à ses paroles. Toutefois, la seule ambition ne le faisait pas agir, mais la conviction profonde que Dreyfus était un traître et qu’on était criminel de n’en pas produire, devant le pays, la preuve décisive et irrécusable.

C’était un sot, mais sincère, logique avec lui-même et têtu.

En effet, Boisdeffre lui ayant affirmé que Dreyfus avait fait des aveux et qu’il en existait un témoignage contemporain, il en avait déduit, par raison démonstrative, que la confession du traître suffisait à écarter jusqu’à la plus légère inquiétude d’une erreur[1].

À qui, d’ailleurs, fut venue l’idée que Boisdeffre mentait ?

Pourtant, un véritable esprit scientifique ne se serait pas contenté de contrôler Boisdeffre par Gonse, Gonse par Mercier. Il eût cherché à savoir pourquoi Dreyfus avait fait une telle confession à un inconnu qui le gardait ; pourquoi, à peine lui était-elle échappée, il avait fait entendre, pendant la parade, la protestation

  1. Cass., I, 39, Cavaignac : « Il y a eu un moment où je n’ai eu que la connaissance des faits qui se rattachaient aux aveux, et ils avaient fixé mon esprit. »