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LA CRISE MORALE


qui avait remué les cœurs les plus durs ; pourquoi ces aveux n’avaient pas été judiciairement recueillis ; pourquoi, au lieu de les rendre publics, on les avait, d’abord, démentis ou cachés ; et pourquoi, enfin, Boisdeffre, Gonse, n’avaient pas arrêté Picquart, au premier mot, par cette preuve irréfutable dont ils n’avaient pas fait mystère, par la suite, à de simples journalistes.

Mais Cavaignac ne s’était posé aucune de ces questions, non point par déloyauté fondamentale, mais parce que l’esprit humain est essentiellement crédule à ce qui le flatte. Les plus audacieux imposteurs n’ont jamais péché que par excès de prudence, par crainte d’abuser de la sottise de leurs contemporains et pour n’avoir point poussé jusqu’au bout leurs supercheries.

Il s’exaspérait donc que le Gouvernement ne fît pas usage du « témoignage contemporain » qui relatait les aveux. — Quel témoignage ? Il ne le dit pas, volontairement ou non équivoque. La Chambre comprit qu’il s’agissait d’un rapport de Lebrun-Renaud[1]. — Et Cavaignac expliquait ce coupable silence par des raisons honteuses, par on ne sait quelles louches compromissions « avec les puissances occultes ».

Il déposa, en conséquence, un ordre du jour de blâme.

Dupuy assistait à la séance. Il avait présidé le ministère qui ordonna le procès de Dreyfus. Il savait que Dreyfus n’avait fait aucun aveu. Lebrun-Renaud, Mercier, le lui auraient dit[2]. Son devoir d’honnête

  1. Jaurès, Les Preuves, 38.
  2. Cass., I, 659, Dupuy ; « La question des aveux ne s’est jamais posée entre Lebrun-Renaud et nous (Casimir-Perier et Dupuy). » I, 293, Poincaré : « Il n’a rien dit à M. Dupuy au sujet des aveux. » I, 336, Barthou : « En ce qui concerne les aveux, je n’en ai jamais entendu parler à cette époque. » — Voir t. I, 535, et suiv.