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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


« Nous pouvons dans le combat révolutionnaire garder des entrailles humaines ; nous ne sommes pas tenus, pour rester dans le socialisme, de nous enfuir hors de l’humanité[1]. » Et la haine des classes est si forte, il semble si étrange de venir en aide à un bourgeois, que ces mêmes chefs s’appliquent à dégrader Dreyfus de sa bourgeoisie : « Il n’est plus ni un officier, ni un bourgeois. Il est dépouillé, par l’excès même du malheur, de tout caractère de classe. Il n’est plus de ces classes dirigeantes… Il n’est plus de cette armée… Il est seulement un exemplaire de l’humaine souffrance… Il est le témoin vivant du mensonge militaire, de la lâcheté politique, des crimes de l’autorité[2] ». Le vrai sentiment des socialistes, on le trouve, et dans leur vrai langage, chez Allemane, ouvrier typographe, ancien condamné de la Commune, quand il félicite Zola « d’avoir craché leurs vérités aux puissances du jour[3]. » C’est contre elles qu’il faut marcher, contre « le sabre et le goupillon[4] ».

Cette rude formule va balancer, d’ici quelques mois, l’autre formule : « l’honneur de l’armée. » Académiques ou populaires, exacts ou trompeurs, ce sont également des mots ailés.

Dirai-je que la fibre sentimentale ne fut pas touchée ? Elle le fut aussi ; plus d’un ouvrier s’apitoya sur ce « pauvre b…… de riche ». Des femmes du peuple, restées pratiquantes, prièrent, brûlèrent des cierges pour le malheureux. Mais le mouvement fut surtout politique.

Dans les réunions publiques (la première, dès le

  1. Jaurès, Les Preuves, 13.
  2. Ibid., 12.
  3. Aurore du 15 janvier 1898, lettre à Zola.
  4. Turot, Petite République du 15.