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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


le faire oublier[1] ; d’autres étaient des artistes exaspérés[2]. Et tous, d’une manière bien française, généralisaient. Eux aussi, comme Drumont et ses congénères, identifièrent Esterhazy et l’armée. Les premiers promoteurs de la Revision ont réprouvé cette assimilation comme un blasphème, un sacrilège. Ces nouveaux venus la trouvèrent commode.

Ils s’excitèrent entre eux, à l’exemple d’un homme tout neuf dans le parti républicain, hier encore monarchiste déclaré[3], qui, d’ailleurs, rédacteur à l’Aurore, continua quelque temps à écrire au Soleil, qu’aucune considération politique ne put jamais arrêter, et qui avait gardé, en changeant de camp, toutes les haines des royalistes contre les institutions et les chefs de la République. D’une misanthropie farouche, où il se complaisait et dont il se faisait une vertu, jaloux de toutes les supériorités, se croyant méconnu et persécuté, d’un immense orgueil, dur et sec, sans pitié sauf pour les bêtes, Urbain Gohier dénonçait les généraux « en bloc ». Ils dilapident les millions de la défense nationale, « n’ont jamais connu que la fuite ou la reddition », tous « fuyards et capitulards », « Kaiserlicks », « qui n’ont remporté de victoires que sur les Français », « généraux de débâcles » avec leur cortège de filles entretenues et de « chasseurs de Sodome[4] ». Il savait sa langue, écrivait d’un style nerveux, saccadé, qui était

  1. Turot, Guinaudeau.
  2. Ajalbert écrivit, le 23 janvier 1898, dans les Droits de l’Homme : « On ne pourrait pas demander des comptes aux généraux de qui dépend le sort de millions d’hommes. Allons donc ! La guillotine pour ces généraux ! »
  3. Il s’était présenté, en 1896, aux élections municipales comme « conservateur libéral ». Le 21 août 1897, il écrivait dans le Soleil : « Naguère, pour nos maîtres, l’Église était l’ennemie… »
  4. Aurore des 18 janvier, 3, 16, 18, 23 février, 4 mars 1898, etc.