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LA CRISE MORALE


pace d’une nuit, de s’y associer. Dès lors, quand elle revint de l’émigration, elle était devenue, sauf de rares exceptions, rétrograde ; et comme la philosophie, en passant de la théorie dans les faits, lui avait coûté ses privilèges et ses biens, elle se donna à l’Église en qui elle avait reconnu l’irréconciliable ennemie de la Révolution. Pourtant, elle ne se mêla pas beaucoup plus aux affaires ; l’exemple de l’aristocratie anglaise — qui a toujours compris ses privilèges comme un devoir, — fut perdu pour elle, ou il était trop tard pour qu’elle se corrigeât et qu’elle fit consister sa prérogative dans une tâche plus large que le service du Roi ; même quand il n’y aura plus de Cour, elle restera une noblesse de cour. La Révolution de 1830, puis l’Empire, lui permirent de cacher, sous un vernis de fidélité et d’honneur, son incapacité et sa paresse. — La haute bourgeoisie, au contraire, était demeurée libérale et fidèle aux principes de 1789. Son apogée fut à la Monarchie de Juillet, où vraiment elle fut souveraine, mais d’où date aussi sa décadence. Ayant refusé de partager le pouvoir avec la démocratie, elle le perdit. Elle fit alors faillite à ses principes, dans le vain, espoir de le reprendre, et s’étant alliée, par peur du socialisme, avec la noblesse et l’Église, se soumit à la direction de l’une et prit les préjugés de l’autre. Ces deux classes, également égoïstes, acceptèrent l’Empire, qui garantissait l’ordre, mais cependant le boudèrent. Elles échouèrent ensuite, après la guerre, à restaurer la monarchie. Elles se consolaient, depuis vingt ans, de leur défaite par des épigrammes contre les petites gens qui, maintenant, dirigeaient l’État, et brouillonnèrent dans les mauvais coups qui furent tentés contre la République. Elles restaient monarchistes, bien que sans grand espoir de restaurer la Royauté, mais elles étaient surtout cléricales, repre-