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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


naient, sans se lasser, l’éternelle comédie des réactions : « La Religion sera un des grands points à mettre en avant[1]. » Leur mentalité si libre, il y a un siècle, quand tous « les honnêtes gens » se piquaient ouvertement d’impiété[2], était devenue catholique.

Cette transformation était l’œuvre des Jésuites. La Compagnie, en effet, avait tout simplement repris au dix-neuvième siècle, avec les mêmes procédés et dans le même dessein, l’entreprise qui avait marqué, au seizième, ses débuts dans l’histoire. Elle s’était heurtée, alors, à une France, non pas, sans doute, aussi hardie que celle de l’Encyclopédie, mais déjà si émancipée que l’une des causes principales qui expliquent l’insuccès relatif de la Réforme au pays natal de Calvin, c’est que les lecteurs de Rabelais étaient de cent lieues en avant des Allemands et des Suisses, — j’entends trop avancés dans le libre examen et la philosophie rationnelle pour s’arrêter à un simple changement de religion. Convertir, abêtir de tels hommes, il n’y fallait pas songer. Les Jésuites leur prirent leurs enfants. Le pape avait à peine approuvé leurs constitutions qu’ils se mirent à fonder des collèges, c’est-à-dire à faire jouer la grande machine que Michelet appelle « l’inquisition préventive » : l’Éducation[3]. Aussitôt, le siècle commença « à baisser de cœur et de morale[4] » jusqu’à la Ligue.

  1. Marie-Antoinette à Mercy, 3 février 1791, dans le recueil de Feuillet de Conches (I, 447).
  2. Mercier, Tableau de Paris, III, 49 : « Depuis dix ans, le beau monde ne va plus à la messe ; on n’y va que le dimanche, pour ne pas scandaliser les laquais, et les laquais savent que l’on n’y va que pour eux, » — « Presque tous les gens d’étude et de bel esprit, écrit d’Argenson, se déclarent contre la religion. » (Voir Taine, Ancien Régime, 376.)
  3. Histoire de France, VIII, 428.
  4. Ibid., X, 147.