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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


nulle au dix-huitième siècle, s’était de nouveau consolidée. Hommes et femmes, surtout les mères trop souvent frivoles, payaient leurs faiblesses en livrant leurs enfants[1].

On a déjà montré que, du premier jour, l’Affaire parut à la Congrégation une occasion unique, sinon de renverser la République, du moins de mettre la main sur le pouvoir. Une fois le principe posé et admis que l’armée est menacée dans son honneur, on engagea, sans retard, l’opération politique et religieuse. Ce n’est pas, cette fois, pour sa propre cause que l’Église part en guerre, mais au secours de l’armée. La lettre de Zola lui fut un thème admirable pour prêcher, dans ses cinquante mille chaires, la sainte Croisade contre les ennemis de l’armée et du Christ, — les mêmes. Cela seul eût dû suffire à ouvrir les yeux au Gouvernement et au parti républicain. Puis, à son propre étonnement, le monde des salons se mobilisa. Prises, tout à coup, d’un goût violent pour les affaires publiques, dont elles s’étaient exclues elles-mêmes, depuis tant d’années, la vieille noblesse et la haute bourgeoisie crurent que leur heure allait enfin sonner. Il ne leur parut pas impossible, dans l’universel désarroi, de restaurer l’ancien régime par l’étroite union

  1. L’extrême indulgence pour les péchés de la chair fut toujours l’un des ressorts de la politique des Jésuites. (Michelet, le Prêtre, la femme et la famille.) Renan, de même, dès 1869, signale le péril : « On s’emparait de l’esprit de la mère, on lui exposait le poids terrible que ferait peser sur elle devant Dieu l’éducation des enfants. Puis, on lui offrait un moyen fort commode pour échapper à cette responsabilité, c’était de les confier à la Société… La mère n’était peut-être pas fâchée de se voir débarrassée de soins austères. Tout le monde, de la sorte, était content ; la mère était, à la fois, tout entière à ses plaisirs et sûre de gagner le ciel, le révérend Père le garantissait. » (La part de la famille et de l’État dans l’Éducation, conférence du 19 avril 1869, dans la Réforme intellectuelle et morale, 333).