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LA CRISE MORALE


de l’armée et de l’Église, à leur profit. Le duc d’Orléans, à qui Dufeuille avait donné sa démission, l’avait remplacé par le fils du vieux Buffet[1], qui avait les préjugés de son père, mais de cœur sec et d’esprit étroit. Les autres membres de son bureau politique étaient plus médiocres encore, gentilshommes sans culture et bourgeois qui rachetaient leur roture par la servilité. Ils professaient pour les libéraux de 1830 le même dédain que les jeunes républicains cyniques pour les vieilles barbes de 1848. Ces étourneaux et quelques moines de boudoir entraînèrent les salons. Le plaisir est une tour d’ivoire comme l’étude. Au même instant que les savants sortaient de leurs laboratoires pour se jeter, épris de justice, dans la mêlée, les gens du monde délaissèrent leurs passe-temps favoris et leurs loisirs dorés pour combattre l’abominable entreprise du Syndicat. Peut-on se retenir quand la France est menacée, quand on insulte l’armée où les beaux fils de la société, dédaigneux du travail civil, ont accaparé les meilleurs emplois ?

Le peuple, depuis la Révolution, s’est cru le monopole du patriotisme. Les nobles, à ses yeux, n’ont pas cessé d’être les émigrés, les gens de Coblence, ceux qui sont revenus dans les fameux « fourgons[2] ». Il abjurera son erreur quand il les verra, dans une telle aventure, venir à lui, voler, des premiers, au drapeau. Les bons Français, désormais, ce seront eux, et les mauvais, ce seront

  1. 15 janvier 1898. — La démission de Dufeuille est du 15 décembre 1897.
  2. En 1870, hors de nobles exceptions (Charette, Cathelineau, Polignac, Coriolis, Cazenove de Pradines, d’autres encore que les amis de Gambetta entourèrent toujours d’un grand respect), la noblesse se prononça contre la lutte à outrance, poursuivit de calomnies et d’injures le Gouvernement de la Défense nationale.