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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


les juifs, les protestants, les francs-maçons, défenseurs du traître et complices de l’étranger.

Ici encore apparaissent les résultats de l’éducation jésuitique qui autorise, pour une bonne fin, prescrit le mensonge. De même que les élèves des pères, quand ils passent un examen devant des professeurs de l’Université, n’éprouvent aucun scrupule à célébrer les principes de 89, qu’ils ont appris à détester, et, dépassant le but, à vanter Marat ou Robespierre, de même les nouveaux ligueurs se mirent à parler le plus pur jargon révolutionnaire et, volontiers, eussent coiffé le bonnet rouge, s’il avait été encore de mode. La patrie en danger, l’or de l’Angleterre, toute la phraséologie de 92 a passé du club des Jacobins au Jockey-Club. Nécessairement, ils avalent toutes les sottises imprimées de leurs journaux, celles qui se colportent et qui sont pires encore, et celles qu’ils inventent eux-mêmes, par exaltation d’esprit ou par gageure. Nul esprit critique, nulle défense contre l’absurde, et, s’il est possible, encore moins de générosité, de vulgaire humanité, surtout chez les jeunes. « Les conservateurs, disait un jour le prince Napoléon, sont de méchantes gens[1]. » Ils apportent dans la politique, avec leur frivolité, leur brutalité d’hommes de sport. Seuls, une douzaine ou deux de vieux orléanistes, qui n’ont pas tout oublié du libéralisme d’autrefois, s’abstiennent de prendre part à ces vilenies, sans pourtant qu’ils élèvent la voix, car il ne faut pas quitter son parti, son monde, surtout quand il se trompe, et le juif ne vaut pas la rupture d’une seule relation sociale. Mais les femmes, pour la plupart, sont impitoyables. Leurs aïeules, les belles et tendres amies des philosophes, Mme de Luxembourg, Mme de

  1. Il tenait souvent ce propos qui étonne d’abord, mais qui est très profond ; il me l’a tenu à moi-même, en février 1883.