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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


l’explosion de ces beaux sentiments. » Et encore : « Vous avez montré superbement votre furie française ; montrez maintenant que vous avez le calme et la force[1]. »

Les principaux meneurs, Pradelle, Lebailly, un tout jeune homme, Max Régis Milano, de famille italienne, naturalisé de la veille, continuèrent à montrer leur furie. Le 22 au soir, ils haranguèrent la foule (six mille personnes) qu’ils avaient convoquée dans un cirque. Régis proposa « d’arroser de sang juif l’arbre de la liberté ». L’avocat Langlois : « Les Juifs ont osé relever la tête ; il faut les écraser. » Morinaud, de Constantine : « Les ancêtres des juifs n’étaient pas dignes de cirer les babouches des Arabes[2]. » Ainsi grisée, la canaille, armée de nerfs de bœuf et de matraques, descendit vers l’un des quartiers juifs, celui de la Lyre. L’accès en était gardé par la troupe. Il fallut remettre l’opération au lendemain.

Le jour suivant, quand la bande des émeutiers monta vers la rue de la Lyre, troupe et police étaient ailleurs. Les juifs seuls faisaient le guet. Ils se défendirent à coups de bâton et à coups de pierre. Un des émeutiers, Cayrol, maçon, reçut un coup de couteau dont il mourut une heure après. Repoussé de ce côté, « le flot des manifestants envahit alors la rue Bab-Azoum » et la livra au pillage, comme une ville prise, ainsi que la rue Bab-el-Oued[3]. Le gouverneur Lépine étant arrivé sur les lieux, avec un détachement de zouaves, « la

  1. Proclamations des 21 et 22 janvier 1898.
  2. Dépêche algérienne du 24.
  3. Pèlerin du 6 février. — Mêmes récits dans les journaux d’Alger (Dépêche, Télégramme, etc.), dans l’Agence Havas, etc. Mais je préfère citer le récit des Assomptionnistes, identique et plus instructif.