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LA CRISE MORALE

mêlée continua autour de lui[1] ». La police était exténuée ; plusieurs agents, frappés, blessés, étaient hors de service ; il fut lui-même atteint par un projectile « au milieu des hurlements d’une foule en délire[2] ». « Cinquante boutiques furent dévastées en un instant[3] » ; pas une boutique juive n’échappa. « Les pillards étaient encouragés par l’approbation de tous les véritables colons. Ces barbares modernes vont-ils ouvrir un nouveau chemin au christianisme, comme autrefois les hordes d’Attila[4] ? » Les destructions continuèrent toute la nuit, au milieu de feux de joie qui risquèrent d’embraser tout le quartier. Le lendemain, au retour des obsèques de Cayrol, « la foule assomma deux juifs, qui refusaient de céder leur place dans un omnibus[5] », et un troisième qui portait un pain[6]. L’un d’eux, lapidé, le crâne fracassé à coups de matraque, ne tarda pas à expirer. Le gouverneur, qui avait suivi les obsèques de Cayrol, n’assista pas à celles de Schebat Aaron. C’était un volontaire de 1870. — Mêmes scènes à Blidah, à Saint-Eugène, à la Maison-Carrée, à Bouffarick, à Mostaganem, à Mustapha[7]. — En quatre jours, 158 magasins furent saccagés de fond en comble, toutes les marchandises volées, jetées au vent ou dans la boue, brûlées au pétrole, avec les livres de comptabilité et les correspondances[8]. — Sur 513 individus arrêtés, pen-

  1. Pèlerin du 6 février 1898.
  2. Chambre des Députés, séance du 19 février 1898, discours de Lépine.
  3. Ibid.
  4. Pèlerin du 6 février.
  5. Libre Parole du 15 février, article de Max Régis intitulé : « Nécessité des troubles d’Alger. »
  6. Il s’appelait Zéraffa. (Dépêche Havas.)
  7. Dépêche algérienne du 1er janvier. De même l’Antijuif, journal de Max Régis.
  8. Temps du 19 février.