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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


litaires redoutaient le plus. Billot se hâta d’écrire au juge « que Lemercier-Picard n’avait jamais été employé par ses services et que toutes les déclarations de cet individu étaient absolument fausses, ainsi qu’un officier de l’État-Major en avait déjà avisé, verbalement, le procureur de la République[1]. » Puis, le surlendemain, l’ancien agent reçut une lettre dont chaque ligne trahissait une vive inquiétude[2]. Son correspondant feignait d’avoir appris qu’il venait d’être convoqué chez Bertulus, ce qui était un mensonge grossier, puisque ce juge l’avait fait vainement chercher par la police. Il continuait en ces termes :

Il faut, à tout prix, vous soustraire à cet interrogatoire. Si muet que vous puissiez être, la moindre indiscrétion serait fatale. Imitez en cette circonstance l’attitude du principal intéressé. Je ne puis encore me prononcer sur votre réclamation. Dans tous les cas, trouvez-vous demain soir, à onze heures, villa Saïd (chez Rochefort). Je m’efforcerai de vous faire obtenir satisfaction.

Un mot encore : de votre silence dépend votre avenir.

La lettre était signée d’un H suivi d’un signe bizarre[3]. Elle n’est pas de l’écriture d’Henry, qui écrivait peu et, comme on sait, avait plus d’un scribe à ses gages.

  1. Lettre du 3 février 1898.
  2. Lettre du 5 février : « Monsieur, j’apprends à l’instant que vous avez été convoqué par M. Bertulus pour lundi (le 7). »
  3. Cette lettre fut trouvée dans le portefeuille de Lemercier-Picard, après sa mort (voir p. 500). Le Temps du 4 mars 1898 en publia la deuxième phrase. Selon Séverine, qui vit cet étrange billet dans le cabinet de Bertulus, il serait signé H. R., des initiales de Rochefort. Celui-ci démentit que le billet, qui n’est pas de son écriture, fut de lui. L’Écho de Paris, la Libre Parole et L’Intransigeant dirent alors que la lettre était signée de mes initiales :