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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


votre zèle au point de proférer des mots blessants, car les chrétiens possèdent la force et pourront faire la vérité à coups de poing[1]. »

XI

À l’île du Diable, Dreyfus s’affaiblissait beaucoup : il écrivit à sa femme, au commencement de l’hiver, que « tout s’épuisait en lui », que « son cerveau s’affolait[2] ». Deux mois durant (novembre, décembre), aucune lettre des siens.

Le rapport de Deniel, en octobre, avait paru très inquiétant à Boisdeffre ; le bourreau relatait divers propos de Dreyfus, les uns d’un vaincu, les autres d’un penseur trop perspicace : « Je suis une victime expiatoire. — Si j’ai réclamé une pharmacie (qui lui fut refusée), c’est que je crois avoir le droit, à un moment choisi par moi, de mettre fin à une agonie qui se prolonge comme à plaisir. Je perds ma lucidité et je crains la folie… S’il y a des coupables, ils sont au ministère de la Guerre, qui m’a désigné comme victime pour cacher les infamies commises[3]. »

En décembre, il fut très malade. Il dit au docteur Debrieu : « Je suis à bout de forces. Je préfère mourir que de perdre la tête et de divaguer. Je m’en vais… Je vous demande le moyen de me soutenir pendant un mois encore. Si, alors, je ne reçois pas de nouvelles de ma famille, ce sera la fin… Du reste, je ne crains pas la

  1. Isidore Loeb, Polémistes juifs et chrétiens en France et en Espagne, dans la Revue des Études juives, t. XVIII.
  2. Lettres des 2 octobre et 25 décembre 1897.
  3. Rapport du 7 octobre 1897. (Rennes, I, 254.)