Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/378

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
372
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Pour les partisans de la Revision, Picquart était une manière de chevalier redresseur de torts, de Roland moderne, parti en guerre contre l’Iniquité ; et ils le célébraient d’autant plus que, le premier, il avait souffert pour la vérité, et qu’il était le seul uniforme dont ils pussent se réclamer, dans ce pays pris de folie militaire.

De l’autre côté, à l’État-Major, la haine était terrible contre lui : « Il a trahi les camarades. Il devait se taire. Entre officiers, il faut avant tout se soutenir. — Quoi ! même aux dépens d’un autre officier, injustement condamné ? — Il déshonore l’armée. » Nécessairement, comme il n’est pas fou, c’est qu’il est vendu aux juifs.

Tous vendus. Tous ceux qui étaient à vendre, et tous les imbéciles, expliquaient tout par la corruption. Et des millions de braves gens en étaient convaincus.

Ni Billot ni Boisdeffre ne s’y trompaient. Ils savaient la loyauté de Picquart, s’inquiétaient terriblement de ce qu’il dirait. Le huis clos, dès qu’il parut, avait été prononcé au procès d’Esterhazy. Impossible, au procès de Zola, de recommencer la manœuvre de l’éteignoir.

Mais Boisdeffre et Billot connaissaient aussi l’amour de Picquart pour son métier. Ils en avaient déjà joué. Picquart avait silencieusement accepté, l’an passé, son envoi en Afrique.

Le nouveau gouverneur de Paris, Zurlinden (il avait eu Picquart sous ses ordres, et ne manquait ni de probité ni d’indépendance), trouvait excessive la proposition de mise en réforme faite par les juges du Mont-Valérien ; Billot, en conséquence, feignant d’hésiter, annonça officiellement qu’il statuerait seulement après le procès de Zola[1]. Un tel marchandage appuyé par

  1. Agence Havas du 5 février 1898.