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LE JURY


de quelles menaces il était l’objet pour avoir mis son nom au bas d’une pétition à la Chambre en faveur de la Revision, comme c’est le droit de tout citoyen. Il était, après Berthelot, l’honneur de la chimie française, agrégé de la Faculté de Médecine, membre de l’Académie des sciences, professeur à l’École polytechnique, et, de plus, républicain de vieille date. Dès que la protestation de Grimaux lui eût été dénoncée, Billot proposa au conseil des ministres la révocation du vieux professeur. Toutefois, le conseil hésita, le droit de pétition étant établi par la loi, et Billot remporta son décret. Mais les ennemis de Grimaux s’acharnèrent. Drumont écrivit que « chargé d’instruire les officiers, il était de ceux qui vilipendent l’armée ». Billot, aussitôt, invita le commandant de l’École polytechnique à faire une enquête sur Grimaux. Et ce grand savant dut aller au rapport, comme un élève pris en faute, se justifier d’un tel reproche : « Je suis de ceux qui courent quand les régiments défilent… » Maintenant, il attendait la décision du ministre. Mais, bien que la révocation, suspendue sur sa tête, lui apparût comme un désastre, comme le naufrage précurseur de la mort, — son cher professorat brisé après plus de vingt années d’enseignement, et, dès lors, la perte de son laboratoire, c’est-à-dire sa vie scientifique perdue, sa vie même, car la science était sa vie, et il était trop pauvre pour continuer ses travaux sans l’aide de l’État, — il refusait d’acheter sa grâce par une lâcheté.

« Moi, dit-il, ne pas être un patriote ? Le général (commandant l’École) m’a demandé ma famille, mon passé ! « Et il raconta ses ancêtres, tous soldats et marins, son père, vétéran des guerres de l’Empire, et ses propres services, dans les hôpitaux, « qui sont, pour les médecins et les pharmaciens des champs de bataille »,