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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


pendant la guerre de Crimée ; puis, sur les remparts de Paris pendant le siège : « J’ai été ensuite honoré de grandes amitiés, de celle de Gambetta. »

Une émotion l’étranglait ; mais il continua, comme inspiré, parce qu’il lui restait encore à affirmer, au nom même de son patriotisme, de son « chauvinisme », comme il disait, l’innocence de Dreyfus :

Oui, c’est dans nos rangs que se trouvent les patriotes les plus éclairés. Les vrais insulteurs de l’armée, ce sont ces journalistes véreux qui accusent un ministre de la Guerre de s’être vendu 30.000 francs à un syndicat juif ! Ces insulteurs de l’armée, ce sont les héros de la peur, qui vous disaient au commencement de l’Affaire : « Laissez l’innocent souffrir un supplice immérité, plutôt que d’éveiller les susceptibilités d’une puissance étrangère ! »

Quoi ! nous avons une armée de deux millions d’hommes, la nation tout entière pour défendre le pays avec vingt mille officiers instruits, travailleurs, prêts à verser leur sang sur le champ de bataille, vingt mille officiers qui, pendant la paix, nous préparent des armes perfectionnées, et nous aurions peur !

L’armée, qui ne compte pas parmi elle un frère, un fils, un parent, un ami ?…

Ma conviction s’affirme de plus en plus. Les injures, les menaces, la révocation, rien ne me touchera ; la vérité m’a revêtu d’une impénétrable cuirasse…

Le vieillard, à la sortie de l’audience, rencontra un jeune officier qu’il connaissait de longue date, qu’il avait reçu chez lui ; il lui tendit la main ; l’officier, en uniforme, la refusa[1]. Puis, dans les couloirs, sur les marches du Palais de justice, il fut hué.

  1. Le lieutenant Hourst. (Temps. Gaulois, etc.)