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LE JURY


fameuses notes dont les sujets étaient essentiellement secrets. Et il ajouta, avec une effronterie merveilleuse d’affirmation, que ces sujets étaient inconnus de lui-même, « tout général qu’il fût et ancien chef d’État-Major d’un corps d’armée ».

Ainsi, à cette heure, il ne savait encore rien du « frein hydraulique du 120 », et, lui, qui avait assisté aux grandes manœuvres de 1895 et de 1897, il pouvait jurer « qu’il était impossible, absolument impossible, d’y voir le fonctionnement de cette pièce ». Il avait assisté aussi à des écoles à feu : « J’en appelle à tous nos camarades de l’armée : jamais un officier d’infanterie n’a vu tirer le canon de 120 ! »

Où voulez-vous qu’Esterhazy ait su qu’il y avait des modifications proposées aux formations de l’artillerie ? Il n’y a pas d’artillerie en garnison à Rouen… Comment aurait-il pu savoir, à Rouen, que l’expédition de Madagascar se ferait avec le concours de l’armée de terre ? Il n’en avait été question nulle part, sauf au ministère de la Guerre… Rien de plus secret que les troupes de couverture. Comment voulez-vous qu’Esterhazy sache qu’il y a un nouveau plan de mobilisation en élaboration au ministère de la Guerre ? Il faudrait qu’il y eût un complice[1].

Or, tout cela, Dreyfus, artilleur et officier d’État-Major, le pouvait savoir ; il le savait certainement, et il avait eu à sa disposition le fameux manuel. En vain Picquart a cherché à suborner un ancien secrétaire d’Esterhazy pour lui arracher qu’il avait copié ce petit livre pour son chef. Ce soldat a refusé de mentir. Même

  1. Procès Zola, II, 109, Gonse : « Les troupes de couverture ? Il n’y a rien de confidentiel là-dedans. » — Sur l’inexactitude flagrante des assertions de Pellieux, voir t. II, 100 et suiv.