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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


un officier, « qui, par hasard, s’est trouva être israélite », a été obligé de reconnaître qu’il n’avait pas fourni le manuel à Esterhazy, mais un autre règlement « qui se trouve dans le commerce ![1] ».

Après avoir démontré ainsi que le bordereau, qui était d’Esterhazy, ne pouvait pas être d’Esterhazy et qu’Esterhazy, qui avait rédigé les notes du bordereau, ne pouvait pas en être l’auteur, Pellieux appliqua la même méthode à la question du petit bleu. « L’attaché militaire d’une grande puissance étrangère ne pouvait pas correspondre avec un de ses agents par carte télégramme », — alors que c’était le mode usuel de communication entre Schwarzkoppen et Esterhazy[2] :

Une carte, déposée chez le concierge, qui peut être ouverte par le concierge, par un domestique ! C’est trop naïf… Comment cette idée a-t-elle pu venir à Picquart, officier qui devait être intelligent, chef du service des renseignements d’une grande puissance ? Nous ne sommes pas encore tombés au niveau des Républiques d’Andorre et de Saint-Marin !

Les jurés, avec une attention soutenue, l’écoutaient. Aux précédentes audiences, ils n’ont cédé qu’à contre-cœur aux preuves, produites devant eux, qu’Esterhazy était l’auteur du bordereau. Ils eussent voulu, comme autrefois Scheurer, que ce fût Dreyfus. Ils surent gré à Pellieux de les ramener au bon port, à la douce conviction que l’armée n’avait point failli.

Et il les émut bien davantage encore quand, tourné vers eux, il laissa déborder ses colères de soldat et, frappant au bon endroit, épouvanta ces hommes qui

  1. Voir p. 58 et 100.
  2. Rennes, III, 476, Paléologue. — Voir t. II, 244.