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MORT DE LEMERCIER-PICARD

Les journaux piétinèrent Zola, désolés seulement d’avoir épuisé les outrages, de n’en pouvoir inventer de nouveaux. D’ailleurs, le public ne se lassait point de cette litanie, de cette violence uniforme.

Le grand triomphateur, c’était l’antisémitisme : s’il n’y avait pas de loi pour Dreyfus, c’est qu’il était juif[1]. L’antisémitisme avait commis le crime initial, mené la campagne avec une savante fureur, déchaîné la bête.

Les partis politiques tinrent à honneur d’avoir figuré dans la bataille : les royalistes et les cléricaux, qui comptaient tirer profit de la folie populaire, les républicains, modérés ou radicaux, qui ne voulaient pas en laisser le bénéfice à la Monarchie et à l’Église, et chacun, d’ailleurs, fondé à réclamer sa part. N’ayant rivalisé que de violence, ils se disputaient le mérite des initiatives. Les radicaux se targuèrent d’avoir forcé Méline à marcher, les cléricaux d’avoir mis le feu au ventre des radicaux. Tous avaient suivi Drumont.

Au moyen âge, dans les pays catholiques, un seul crime fut irrémissible : l’hérésie. Le chef-d’œuvre des défenseurs de la chose jugée (trois fois jugée, maintenant), ce fut d’imprimer le caractère d’hérésie à l’opinion que Dreyfus était innocent.

Ce n’était pas une opinion ou une erreur comme une autre, mais déshonorante, une impiété (contre l’armée, contre la patrie). Elle désignait ceux qui la professaient au mépris public, comme jadis, pendant des siècles, la rouelle des Juifs. D’avoir eu raison contre tous, longtemps ils resteront suspects, indignes, impurs.

La férocité resta à la mode. Des journaux regrettèrent de ne pouvoir aviser Dreyfus que tout espoir

  1. C’est ce qu’explique très bien Clemenceau (Aurore du 25 février 1898).


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