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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


était perdu, qu’il attendrait, jusqu’à la mort, sur son rocher.

L’âme haute, dédaigneuse, ne souffre pas des haines factices. La seule douleur, mais profonde, c’est quand s’avance la vieille femme, au cœur simple, qui apporte au bûcher de Huss son fagot.

Ces « saintes simplicités » se retrouvent toujours, dans les pires folies et dans les crimes les plus affreux.

Cependant, — et ces fureurs même le montraient, — les vainqueurs se rendaient compte que la condamnation de Zola ne résolvait rien. Méline, notamment, ne se flatta pas que l’hérésie fût morte. Depuis qu’il avait refusé de regarder lui-même au dossier de Dreyfus, comme les promoteurs, puis les adversaires de la Revision (Cavaignac, Goblet) l’y avaient invité, il s’apercevait, à chaque nouvel incident, qu’à fuir les responsabilités honorables, on en assume d’autres et plus pesantes. Le déchaînement des haines religieuses, le cliquetis des épées et des éperons dans le prétoire l’effrayèrent. Surtout, ayant conscience qu’il était sorti du droit, il eût souhaité rentrer dans la justice, dans l’ordre, c’est-à-dire qu’il eût voulu, avec le succès de l’exception, la garantie de la règle ; « mais la nature des choses s’y oppose[1] ».

Le jour où il avait éconduit Scheurer, il s’était imaginé qu’il suivait la voie droite, alors qu’il bifurquait, tournant le dos à son passé. Sa stratégie était la Loi : « Il y a une loi sur la revision ; usez-en. » Mais, en même temps, il avait rendu impossible le recours à la loi. La Revision eût pu sortir du procès d’Esterhazy si l’enquête, l’instruction, avaient été loyales. Elle eût pu sortir du procès de Zola, si les généraux n’avaient pas

  1. Benjamin Constant, Traité de l’arbitraire, 88.