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MORT DE LEMERCIER-PICARD


intimidé les jurés par la menace de conduire leurs enfants à la boucherie, de donner tous ensemble leur démission ; il les avait laissé faire. Il savait enfin que la condamnation de Dreyfus était viciée par la communication secrète, et il s’en taisait. Dès lors, quand sur les ruines de toutes ces lois brisées il parlait de la loi, du respect qui lui est dû, les partisans de la Revision ne voyaient en lui qu’un pharisien.

Il eût voulu, de toutes les forces de sa petite âme naturellement pacifique, honnête, point méchante, apeurée devant une telle crise, calmer cette fièvre pour faire de bonnes élections. Mais il s’obstinait à méconnaître que l’organisme, malade de l’iniquité originelle, resterait empoisonné tant que l’iniquité n’en aurait pas été extirpée. De là, l’étonnant contraste entre l’homme qu’il était et ses actes, ses discours. Il avait érigé la modération en principe. Et la violence de la tempête qu’il avait laissé éclater le jetait dans la violence, dans l’abus brutal de la force, dans la menace, hors de lui-même.

II

C’est ce qui parut, encore une fois, dans l’âpre discours qu’il fit, le 24 février, au lendemain de la condamnation de Zola. On n’a pas oublié que Jaurès, au sortir de l’audience du 17, s’était précipité à la Chambre et, tout bouillant, voulut interpeller sur l’insolence débridée des généraux. Il eût fallu le faire séance tenante ; ce jour-là, dans le frémissement passager de beaucoup de républicains, le sort eût pu tourner. Mais les politiques du parti socialiste s’étaient accrochés aux basques