Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/491

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
485
MORT DE LEMERCIER-PICARD


ser le cri de massacre qu’ils ont fait retentir sous les voûtes du Palais de Justice : « Mort aux Juifs ! » Cette inscription meurtrière est charbonnée sur tous les murs. — Viviani exposa que les socialistes étaient « profondément divisés » sur la question même de Dreyfus. Lui-même, il flottait entre Jaurès et Millerand, s’appliquait, jeune et ambitieux, ménager de sa popularité, à ne pas prendre parti. Ces réserves, cette prudence, qui se croyait politique, affaiblissaient fort sa thèse. Si Dreyfus est coupable, les généraux sont excusables de perdre patience, de s’indigner contre les protagonistes du traître. Pourtant, vers la fin de son discours, l’éloquent Algérien se retrouva, fit entendre quelques mots de hautaine protestation[1].

Méline, que toute la Chambre appela alors à la tribune, n’eut garde de refuser la parole d’explication que les républicains attendaient pour s’en aller, la conscience en repos, aux élections.

Il convint donc que les généraux « avaient pu être entraînés à aller plus loin qu’il n’aurait voulu », et, notamment, que, dans la déposition de Boisdeffre, « il y avait un mot de trop » ; du moins, « dans d’autres circonstances, il pourrait être amené à le penser et à le dire ». Mais à qui la faute ? Qui a provoqué ces impatiences ? Et il fit le tableau saisissant « de l’âme d’un soldat, d’un général qui, pendant huit jours, est assis sur la sellette, traité avec mépris, considéré comme un suspect, presque comme un coupable ! (Vifs applaudis-

  1. « Les hauts officiers sont les serviteurs, non les maîtres de la maison. Si on n’apportait pas ici au moins une parole d’explication, une parole de regret, il pourrait y avoir encore un ministre de la Guerre, un État-Major, une armée, mais il n’y aurait plus, sous ce décor éclatant, qu’une république terrorisée par le sabre des généraux. »