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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


de la faire parvenir au destinataire, après en avoir pris copie, et avec l’autorisation de la publier[1].

Cette lettre à Rochefort puait le chantage. L’ancien agent, avec toutes sortes de sous-entendus, y invitait le pamphlétaire à provoquer la revision du procès Dreyfus, « nul n’étant mieux qualifié pour établir la vérité » que l’homme qui avait eu « la haute direction du syndicat Esterhazy » et reçu les subsides du père Bailly. Cependant. Lemercier-Picard pourrait le suppléer dans cette tâche. « Les documents qu’il possède lui donnent une certaine autorité dans la matière[2]. »

Séverine avait eu de bruyants démêlés avec Rochefort. L’ancien agent escomptait la haine de la femme outragée qui, tenant sa vengeance, publierait la lettre.

Comme il signait Durandin, elle n’avait aucun soupçon qu’il fût le même que Lemercier-Picard. Encore une fois, l’entrevue manqua.

En fait, le misérable, à travers ces intrigues croisées, ne cherchait qu’à se procurer de l’argent et, n’ayant jamais vécu que de faux et d’escroqueries, il continuait son commerce. Il sollicitait aussi, pleurant misère, des personnes réputées pour leur

  1. Séverine, Vers la Lumière, 294. — La lettre est signée Durandin. Il prie Séverine de lui répondre aux initiales A. D. B., 1885, poste restante, Chambre des députés.
  2. Séverine, 298 à 300. — Il raille encore Rochefort de n’avoir pas osé interjeter appel contre le jugement auquel je l’avais fait condamner. « Dans la troisième période de ce procès mémorable, tous ceux qui, pour des raisons de lucre, ont pris position contre la vérité, devront s’effacer devant elle ». Cette vérité éclatera et Rochefort y aidera, « dût-il, après, solliciter le pardon de Léon XIII ». — Rochefort, avant que cette lettre ne fût publiée, avait écrit, le 10 mars 1898, dans l’Intransigeant : « Toutes les assertions de cet inconnu étaient rigoureusement exactes. »