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MORT DE LEMERCIER-PICARD


la cravache[1] ». Depuis qu’Esterhazy fréquentait chez Oscar Wilde, les gens de la Libre Parole colportaient contre Picquart des bruits infâmes.

Ayant échoué à faire consolider par Picquart son innocence officielle, Esterhazy annonça qu’il allait intenter à ses diffamateurs de formidables procès en dommages-intérêts ; il ne demanderait pas moins de 600.000 francs aux journaux anglais[2], 500.000 francs à Mathieu, 200.000 francs à Zola, 200.000 au Figaro. Mais il se contenta de fanfaronner, sous prétexte que Billot lui avait fait défense de provoquer de nouveaux scandales et que tel était aussi l’avis de son avocat[3]. Il était, en effet, dans ses principes, « d’obéir constamment à ses chefs en toutes choses. Cependant, si de nouvelles diffamations étaient dirigées contre lui, il saisirait les tribunaux. Il consentait à rester, en attendant, un demi-traître.

Aussi bien, ce lessivage insuffisant n’était, comme on peut croire, que le moindre de ses soucis ; ce qui le préoccupait bien plus, c’était que sa gloire lui avait fermé toutes les caisses. Quelques billets de mille francs qu’il avait extorqués à de Rodays, quelques prêts amicaux que lui consentirent Arthur Meyer et Rochefort furent vite épuisés[4]. Sa femme, écœurée, n’en pouvant plus, avait définitivement rompu avec lui[5] ; il vivait chez sa maîtresse[6], presque en souteneur, lui

  1. Lettre à Sainte-Marie et Bergougnan.
  2. Lettre du 15 mars 1898 à Christian.
  3. Cass., II, 180, (Cons. d’enq. Esterhazy), Boisandré.
  4. Cass., II, 183, Esterhazy : « Des amis de Me Tézenas m’ont remis 18.000 francs, dont 4.000 francs fournis par le Gaulois pour ma défense. »
  5. « J’ai été mis à la porte de chez moi, un jour, après déjeuner, comme un domestique. Non pas comme un domestique : ils ont leurs huit jours. » (Lettre d’Esterhazy à Mme Grenier.)
  6. Cass., II, 181. (Cons. d’enq.), Esterhazy.