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MORT DE LEMERCIER-PICARD

Ainsi, ni Boisdeffre, ni Gonse, ni Pellieux n’auraient dénoncé la pénitente du père Du Lac ; c’était le magistrat civil qui l’avait trouvée !

Nulle machination où n’apparaît, dans une lumière plus crue, la manière ordinaire des Jésuites, et tout y était merveilleusement combiné, agencé et prévu, sauf l’élément que les coquins ne font jamais entrer en ligne de compte : l’honnêteté révoltée et courageuse. En effet, dans l’intervalle entre la visite de Ducassé et celle de Gonse, la victime de cette vilenie était venue elle-même chez Bertulus[1] et, bravement, avait foncé sur ses calomniateurs. Elle ne raconta, d’abord, que ses dissentiments avec son mari au sujet de Picquart et la surveillance outrageante dont la police l’obsédait. Puis, dans un second entretien et dans une lettre, elle dit tout : pourquoi elle soupçonnait le père Du Lac d’avoir violé le secret de la confession et comment, avec des parcelles dénaturées de vérité, la calomnie avait été édifiée contre Picquart et contre elle[2].

Il eût fallu être dénué de tout sens critique ou aveuglé par la passion pour ne pas discerner, sous tant de manœuvres, le crime originel qu’elles voulaient couvrir. Peu à peu, toute la terrible vérité apparut à Bertulus et, maintenant, il en était ébloui : il n’avait plus de doute que Dreyfus fût innocent ; et l’ambition lui vint d’être un de ceux qui contribueraient à l’œuvre de justice. Les promoteurs de la Revision, qui ont combattu

  1. 25 février 1898. — Cass., 269, Bertulus : « Mme Monnier était venue spontanément protester avec une rare énergie contre le rôle odieux qu’on voulait lui faire jouer. »
  2. Cass., I, 235, Bertulus : « À l’appui de son raisonnement, elle disait encore que, deux fois, par deux lettres, au cours du procès Zola, le père Du Lac l’avait mandée auprès de lui et qu’elle avait refusé de s’y rendre, ne voulant pas lui dire en face le soupçon qu’elle avait contre lui. ». — Voir t. II, 574.