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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


en rase campagne, ont échoué ; peut-être lui sera-t-il donné de réussir, rien qu’en suivant l’étroit souterrain où il a été engagé par Henry lui-même.

Il était, de sa nature, avisé et circonspect ; désormais, il le sera d’autant plus que la tâche à accomplir est plus rude, et qu’il ne se dissimule pas qu’à la moindre imprudence, il sera brisé. Il continuera donc à faire bon visage aux gens de l’État-Major et les payera de bonnes paroles[1], cordial avec Gonse, familier avec Henry qui, cherchant de son côté à le tromper, lui disait le plus grand bien de Picquart, « entêté, mais honnête homme, incapable d’une mauvaise action[2] » ; ainsi, tout en se garant, il poursuivra la revanche de la justice. C’est la vieille politique d’Harmodius et de Lorenzaccio.

Il était inévitable que, dans la partie qu’il se décidait à jouer, Bertulus se rapprochât de Picquart, l’auteur de la plainte et son principal témoin. Déjà, avant que le juge trouvât son chemin de Damas, Picquart avait gagné sa confiance par la précision de ses dires et par la fermeté de son attitude[3]. Maintenant que ses propres découvertes confirmaient celles de l’ancien chef du service des renseignements, il était d’autant plus disposé à lui faire créance et à le suivre dans ses déductions. L’ayant entendu pendant plusieurs longues audiences[4], il avait été convaincu par lui et n’éprouvait de doute qu’au sujet de Souffrain, suspecté à la fois par Pellieux et par Picquart, bien qu’il fût entièrement étranger à l’affaire[5]. Certain, à présent, que les

  1. Cass., II, 25. Gonse. — Voir p. 526.
  2. Ibid., I, 231, Bertulus.
  3. Ibid., I, 221, Bertulus.
  4. Ibid., II, 207 à 220 (15, 16, 19 et 28 février 1898).
  5. Esterhazy et Henry avaient fait croire à Pellieux (Enq., 26 novembre 1897) que Souffrain était « l’agent des juifs » : Picquart le croyait l’agent d’Esterhazy. — Cass., I, 204 : II. 214,