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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


l’avait pris en haine depuis plusieurs années ; elle était, en outre, meurtrie d’avoir été mise en cause dans cette retentissante affaire et menacée par Pellieux d’une perquisition[1]. Leur commun soupçon découlait principalement, comme on sait, et avec une logique apparente, de cette histoire, révélée par Leblois[2], où l’extravagant personnage aurait évoqué autrefois, et dans les mêmes lieux, une première dame voilée[3]. Aussi bien était-ce l’opinion presque générale. Le dossier de police, où cette aventure était relatée, avait été communiqué au ministre de l’Intérieur qui l’avait porté à Félix Faure ; celui-ci le repoussa avec humeur, dit que cela regardait Billot ; Barthou avisa alors le ministre de la Guerre, ainsi que Méline et Milliard[4]. Ils trouvèrent cette récidive d’autant plus vraisemblable que l’homme était plus antipathique et qu’il s’était rendu lui-même très ridicule. S’il faut jeter du lest, que ce soit ce sot. Les revisionnistes, à la suite de Leblois, de Picquart et de Zola, ne doutaient pas que « l’ouvrier diabolique de l’erreur judiciaire » eût été l’ordonnateur de tant de manifestations saugrenues et criminelles. Il était devenu leur bête noire, le bouc émissaire. Des milliers de caricatures le représentèrent dans l’accoutrement grotesque d’une femme dont la jupe relevée montre des bottes éperonnées. Son nom, dans le monde entier passionné pour le martyr de l’île du Diable, était maudit et honni.

  1. Cass., II, 216, Picquart ; 263, Comminges.
  2. Procès Zola, I, 103, Leblois.
  3. Cass., I, 213, Picquart : « Lorsque j’ai vu que les rendez-vous se donnaient près du pont Alexandre III, je n’ai plus eu aucun doute. » — C’est, exactement, le raisonnement de Cuignet, écho des propos qu’il a entendu tenir à Henry. (Cass., I, 342 et suiv.)
  4. Cass., I, 337, Barthou.