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MORT DE LEMERCIER-PICARD

Cela, semble-t-il, faisait à merveille les affaires d’Henry qui avait tendu ce piège à l’opinion. Et il entretenait à la fois les deux versions inconciliables que la dame voilée était la cousine de Picquart et qu’elle avait été imaginée, dans un accès de zèle, par Du Paty. Mais, en même temps, il redoutait que Bertulus, emporté par le plaisir de la chasse, s’attaquât à la légende et que Du Paty se lassât d’être seul à porter le poids de tout.

Du Paty, s’il n’avait pas été Du Paty, eût été à plaindre. Il avait été le premier bourreau d’un innocent ; il subissait la loi du talion. Il avait frappé Dreyfus avec le mensonge ; il croulait sous le mensonge d’Henry.

Il n’avait nul moyen de détruire la fable de la dame voilée et il n’avait pas été mis en face de l’accusation d’avoir fabriqué les faux télégrammes. Quand Boisdeffre et Gonse l’envoyèrent chez Bertulus, le juge, qui avait demandé à le voir[1], ne le reçut pas à titre de témoin, mais chez lui, à son domicile particulier. Ils parlèrent d’abord de sujets artistiques et littéraires ». Bertulus lui dit ensuite qu’un témoin (Picquart) avait trouvé de l’analogie entre son écriture et celle des dépêches[2] ; Du Paty proposa d’écrire sous les yeux du

  1. Cass., II, 25, Gonse : « Bertulus vint me trouver pour me demander de lui envoyer le colonel Du Paty de Clam, afin qu’il pût causer avec lui avant de l’entendre dans son cabinet d’instruction. » — Gonse place cet incident au mois de janvier ; Du Paty précise qu’il alla en février chez Bertulus, « sur l’invitation de M. le général de Boisdeffre, transmise par M. le commandant Hirschauer » (II, 37) ; ce fut le 28 février. (Enq. Bertulus ; Arrêt de la chambre des mises en accusation.)
  2. Cass., II. 117, Picquart : « Certaines lettres paraissent vouloir imiter l’écriture de Mlle de Comminges ; certaines boucles des o et des a se rapprochent des o et des a de M. Du Paty de Clam. Il y a là, ce me semble, lieu à expertise. » — II, 220 : « Je vous remets trois écrits de M. le lieutenant-colonel Du Paty de Clam. L’écriture de ces trois écrits offre une telle ressemblance avec le télégramme signé Blanche… »