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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


entre l’esprit de libre examen et l’esprit d’autorité ; le crime, c’était de penser autrement que les autorités consacrées sur une question qui n’avait été, à l’origine, qu’une question d’écritures.

Il n’était point surprenant de trouver un tel langage dans la bouche des fanatiques, dont plus d’un était sincère, et des durs politiques qui avaient recueilli, à travers les âges, la succession des Inquisiteurs et des moines de la Ligue. Ce qui était humiliant et fait pour alarmer, c’était que des fils de la Révolution et des élèves ou des maîtres de l’Université parlassent comme eux. L’éducation congréganiste, la loi Falloux, ici, n’y fut pour rien. Le mal vint d’un matérialisme ambiant qui, lentement, avait pénétré, vicié, épaissi les âmes, et qui sévissait à la façon des épidémies, indistinctement. La même colère contre la vérité, qui avait passé sur les loges maçonniques comme sur les sacristies, soufflait aux Académies comme aux assemblées.

Vent glacial autant que furieux. En d’autres temps, la révélation que je fis alors[1] du martyre de Dreyfus, de l’affreux supplice de la double boucle, eût soulevé une réprobation générale. Il n’en fut rien. Quelques vieux républicains s’émurent ; les jeunes avaient désappris la pitié ; et les catholiques ne pouvaient plus supporter l’Évangile.

II

Pourtant, quelques vrais chrétiens osèrent élever la voix ; les premiers furent Giraudeau et Viollet.

Giraudeau était un ancien fonctionnaire de l’Empire,

  1. Siècle du 28 mars 1898.