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LES IDÉES CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRES


de Boisdeffre, s’avisa, vers la fin de février, d’adresser une pétition aux Chambres. Il ne savait toujours rien de la formidable agitation dont il était l’objet, protestait de son innocence et réclamait une enquête. Méline, Lebon confisquèrent la pétition[1].

Lucie Dreyfus, au lendemain de la condamnation de Zola, demanda, une fois de plus, à rejoindre son mari à l’île du Diable ; je démontrai que son droit était « absolu », inscrit dans un texte formel[2] ; le rapporteur de la loi[3] en convint. Encore une fois la supplique fut repoussée.

Il se trouva un professeur de droit (Leveillé, député de Paris) pour justifier ce déni de justice[4]. Il invoqua la raison d’État et donna cet argument : « Le droit à l’évasion n’est pas encore inscrit dans nos codes. »

Quoi d’étonnant, quand l’exemple venait de si haut, si la foule, en bas, se persuada que les juifs étaient hors la loi ? Ils furent, de nouveau, molestés en Lorraine, assommés à Avignon ; à Paris, où les braillards et tape-dru de Guérin tenaient toujours le pavé, le vrai peuple ne se retournait même plus au cri, devenu banal, de « Mort aux juifs ! » À Alger, on tua. L’arrestation tardive de Max Régis[5], à son retour en Afrique, pour ses meurtrières diatribes de la salle Chayne, n’avait fait qu’échauffer les esprits ; l’annonce de la prochaine arrivée de Drumont les exaspéra : un ouvrier, du nom de

  1. Cinq Années, 295. — Dreyfus, dans son livre, donne le texte de sa pétition du 28 février 1898. Cette violation de la loi ne fut connue qu’en 1899. Méline, sommé par les journaux de s’expliquer, garda le silence : de même Lebon. Quand l’incident fut connu, peu avant le procès de Rennes, Méline allégua que les pétitions étaient arrivées à Paris en avril, pendant les vacances parlementaires, et qu’il avait été renversé le 14 juin, deux semaines après la réunion de la nouvelle Chambre ; dès lors le temps lui avait manqué pour déposer les pétitions. (République française du 24 juillet 1899.) En fait, le Conseil des ministres fut saisi en avril de la pétition et décida que les lettres ne seraient pas transmises (Dossier des colonies, lettre de Méline à Lebon). L’existence des pétitions ne paraît pas avoir été connue du ministère Brisson.
  2. Siècle, du 20 mars 1898.
  3. D’Haussonville, dans le Temps du 22 mars.
  4. Temps du 24 mars. — Quelques femmes apitoyées adressèrent un appel à l’opinion ; elles recueillirent quatre à cinq cents signatures.
  5. 21 mars 1898.