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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Shébat, sans nulle provocation, pour avoir pris place dans un tramway, fut massacré en plein midi[1] ; il était père de huit enfants ; des mégères flagellèrent publiquement une jeune fille, la laissèrent pour morte[2]. Les ouvrières espagnoles, très nombreuses, amoureuses de Régis qu’elles appelaient « Jésus », jouèrent du couteau contre les ouvrières juives[3].

La force intermittente est inefficace ; les accès d’énergie de Méline firent autant de mal que sa faiblesse et ses complaisances.

Les auteurs de ces actes individuels de sauvagerie agirent sans mot d’ordre ; la consigne, en effet, n’est pas de tuer les juifs, mais de leur rendre la vie insupportable, de les refouler sur eux-mêmes, dans un ghetto moral, avant de leur faire reprendre le chemin de « la terre de Chanaan[4] ». En conséquence, une campagne méthodique s’organise par toute la France contre les négociants juifs ; on publie leurs noms, leurs adresses, dans des brochures qui sont distribuées à profusion[5] ;

  1. 27 mars 1898. — Chambre des députés, 24 mai 1899, discours de Rouanet.
  2. Même discours.
  3. Figaro du 6 avril 1898, lettre d’Alger.
  4. Jules Soury, Campagne nationaliste, 92. — La conférence Molé-Tocqueville, pépinière, depuis cinquante ans, de la politique, invita le Gouvernement « à prendre les mesures nécessaires pour arrêter l’envahissement périlleux de la race juive ». — À Brest, quarante commis-voyageurs envoyèrent une adresse au général de Boisdeffre ; ils y réclamaient « unanimement » l’expulsion des juifs, « de tous ceux qui ruinent et avilissent le pays ». — Une assemblée agricole de l’Est adopta le programme suivant : « Nous ne voterons que pour les candidats qui s’engageront à proposer, soutenir et voter une loi interdisant aux juifs l’électorat et les fonctions civiles et militaires. » (Croix du 11 mars 1898.)
  5. À Rouen, Lyon, Saint-Étienne, Nantes, etc. Les négociants juifs intentèrent des procès aux auteurs de ces publications et obtinrent des condamnations.