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LES IDÉES CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRES


ayant eu vent de cette méfiance, fit venir Esterhazy et lui expliqua que la patriotique alliance était compromise si des renseignements de source privée, c’est-à-dire d’espionnage, ne venaient pas confirmer, dans l’esprit du Tsar, les renseignements officiels. Esterhazy se dévoua et, jouant l’espion, alla trouver le baron de Mohrenheim auquel il se présenta comme un officier d’État-Major, indigné de voir la Russie trompée par la France et en mesure de donner au Tsar la situation exacte des effectifs de l’armée française. Or, les états qu’il remit à Mohrenheim et qu’il tenait de Boisdeffre, confirmaient rigoureusement ceux qui avaient été régulièrement communiqués. Le Tsar n’hésita plus et signa. Cependant, des doutes vinrent peu après à l’ambassadeur sur son aventure ; il soupçonna qu’il avait été mystifié et Boisdeffre en fut avisé. Il était, dès lors, « d’une nécessité impérieuse » de sacrifier un véritable officier d’État-Major afin de convaincre la Russie qu’elle avait eu affaire à un véritable espion. Dreyfus fut choisi comme victime et on inventa l’histoire du bordereau. Sous main, on fit savoir à la Russie que l’homme qui l’avait documentée était le même qui venait d’être surpris à documenter, à leur tour, des Allemands. — Il n’y avait de vrai que ceci : Esterhazy et Henry n’avaient pas seulement « travaillé » avec l’Allemagne, mais avec la Russie[1]. Plus tard, comme on

  1. D’après une version qui a eu cours dans les cercles diplomatiques, le général Anenkoff, le constructeur du Transsibérien, aurait été l’intermédiaire entre Henry, qu’il connaissait certainement, et l’État-Major russe. Il se suicida le 21 janvier 1899, à la veille du procès qui m’était intenté par la veuve d’Henry. Le Journal de Genève, le Lokal-Anzeiger de Berlin ont formellement mis Anenkoff en cause (29 et 30 juillet 1899.) Le ministre de la Guerre, Vannowsky, et le chef de l’État-Major général, Obrutcheff, furent remerciés en janvier 1898, à l’époque du