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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


verra, ce conte stupide parvint jusqu’à l’Empereur d’Allemagne, avec cette variante que c’était Dreyfus lui-même qui, par ordre de Boisdeffre, était allé trouver Mohrenheim et son attaché militaire, le général Frédéricksz. — Les journalistes anglais, à qui Esterhazy avait confié ces bourdes, les reproduisirent dans leurs journaux comme venant d’une source mystérieuse et sûre[1]. Toutefois, le public y avait été rebelle, non pas tant parce que l’absurdité en était criante, mais parce qu’il n’était pas encore mûr pour une ineptie aussi compliquée. Les deux compères jugèrent avec raison qu’il fallait, en réponse à Casella et au diplomate de Berne, inventer quelque chose, sinon de plus plausible, du moins de plus simple.

Les journaux d’Henry racontèrent en conséquence qu’Esterhazy avait été l’un des principaux agents du contre-espionnage, qu’il trompait Schwarzkoppen en lui livrant, par ordre, des documents frelatés, et que le maître qu’il trahissait, c’était l’Allemand[2]. Pour Drey-

    procès Esterhazy ; dès le 8 décembre 1897, le Temps avait annoncé le départ de l’ambassadeur Mohrenheim, qui fut remplacé par le prince Ourousoff, et, le 11, la retraite imminente de Vannowsky, qui fut remplacé le 15 janvier suivant, par Kouropatkine. — Ces coïncidences sont curieuses ; cependant, le renvoi de Mohrenheim doit être exclusivement attribué, comme le suicide d’Anenkoff, à des motifs d’ordre privé. — Le général Frédéricksz a formellement démenti qu’il eût été mêlé, d’une façon quelconque, à l’Affaire. (Note Havas du 6 août 1899. Voir t. V, 222, note 2.) Pour Dreyfus, il ne l’avait connu, indirectement, qu’à l’occasion de l’assassinat de Mme Dida par Vladimiroff. (Voir t. Ier, 287.)

  1. La première de ces versions parut dans le Daily Mail du 12 janvier 1898, sous ce titre : « La Russie et Dreyfus, De notre correspondant particulier, Cologne, 11 janvier » : la seconde dans la Saint-James Gazette, du 16 mars, sous la forme d’une lettre de Saint-Pétersbourg. L’Aurore du 18 en publia la traduction.
  2. Écho de Paris, Libre Parole, Intransigeant, Patrie, Jour des 13, 14, 15 avril 1898, etc.