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LES IDÉES CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRES


mandé des pièces justificatives, qu’Henry avait négligé de forger, et l’État-Major allemand se serait décidé peut-être à les confondre.

Il y avait eu une heure, une seule, où ils eussent pu se raccrocher à cette branche pourrie : c’est quand Picquart leur nomma Esterhazy pour la première fois. Ils eussent pu l’arrêter d’un seul mot : « Malheureux, vous allez brûler un de nos agents ! » Mais ils ne pensaient pas alors qu’Esterhazy conduirait Picquart à Dreyfus ; Picquart ne le pensait pas non plus ; Henry seul le savait. Plus tard, c’était trop tard, quand Picquart eût découvert que le juif était innocent.

Clemenceau exposa ce raisonnement péremptoire ; j’y ajoutai d’autres arguments : la visite d’Esterhazy à Schwarzkoppen qui n’était pas d’un contre-espion à sa dupe ; son obstination à entrer au ministère de la Guerre ; les refus persistants de Billot et de Boisdeffre ; s’il avait été un agent secret, sa place eût été à Paris, près de l’Allemand ; on ne l’eût pas expédié dans une garnison de province[1].

Ainsi Esterhazy n’avait pas été un espion au service de la France et « le bénéfice d’une probité allemande » lui restait acquis.

IX

Les élections furent une halte apparente dans le drame.

L’agonie de la Chambre avait été pénible. Depuis six mois, elle votait sous la peur des électeurs, des comités,

  1. Aurore du 17 avril 1898 : Siècle du 21.