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LES IDÉES CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRES


saient en bons, mauvais et douteux[1] ». D’autres montaient des pèlerinages, des « croisades », faisaient les commis-voyageurs pour le culte fructueux de saint Antoine de Padoue[2]. D’autres enfin récoltaient des aumônes, des souscriptions, mendiaient de porte en porte, acceptant d’ailleurs les dons en nature comme les écus sonnants, par exemple « une demi-barrique de vin, juste de quoi prendre les forces nécessaires pour donner quelques bons coups de poings aux infâmes gendarmes ![3] ». Ils avaient fait vœu de pauvreté[4], se disaient « pauvres, très pauvres », « attendant tous les jours, comme les oiseaux du ciel, la becquée[5] » ; et ils étaient fort riches, avec leurs quatorze maisons, un fond de roulement d’un million et plus[6].

Ce trésor de guerre, leur grossièreté populacière, une impudence dans le mensonge et dans l’outrage qui dépassait celle de Drumont, une activité infatigable, firent d’eux les chefs apparents de la nouvelle Ligue. On peut croire que la Société de Jésus était derrière eux, les faisait mouvoir, mais il n’en existe nulle preuve,

  1. Rapport Laya.
  2. Procès, 42, 43.
  3. Lettre du P. Ignace au vicomte de Roussy, pièce saisie à Bordeaux (Procès, 11).
  4. Coutumier des Assomptionnistes (Procès, 34).
  5. Rapport du P. Picard, supérieur général, à l’ouverture du chapitre général tenu à Livry le 29 août 1892.
  6. Procès, 8, 44, 45, 98, etc. ; — Ils étaient propriétaires de l’immeuble de la Bonne Presse, de deux hôtels sis au Cours-la-Reine, achetés au prix de 1.276.000 francs, etc. Une seule mission coûta 974.903 francs, le pèlerinage de Jérusalem 3.300.000, ceux de Lourdes 2.500.000. Le rapport du P. Picard, pour 1892, accuse une dépense totale de 8.600.000 francs (p. 7). Le 11 novembre 1899, le commissaire de police Péchard, qui perquisitionna au couvent de la rue François-Ier (à l’imprimerie de la Croix), trouva 1.800.000 francs dans le coffre-fort du P. Hippolyte. (Procès, 132 et suiv.) Le procès-verbal de constat est signé du commissaire et de « M. Hippolyte Saugrain ».