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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


l’ébauche primitive où les cryptographes avaient inscrit, sous les groupes chiffrés, à titre conjectural, les mots arrêté, ministère de la Guerre, preuve, relations, Allemagne. Mots excellents, accusateurs, mais, par malheur, inexacts : ainsi le premier chiffre de la dépêche (913), qu’on avait pris pour un groupe et traduit arrestato, et qui n’était qu’un numéro d’ordre[1]. Au surplus, cette version elle-même était favorable à Dreyfus : « On a arrêté le capitaine Dreyfus qui n’a pas eu de relations avec l’Allemagne[2]. »

Cependant, avec le feuillet cryptographique dont les déchiffreurs avaient eu le tort de se désaisir, l’instrument générateur des faux était aux mains de l’État-Major. Tous les militaires qui en ont eu connaissance, ceux qui avouent avoir connu le feuillet comme ceux qui le nient, se sont cramponnés, imbéciles ou déloyaux, à ces premiers déchiffrements hypothétiques. La première traduction, donnée comme incertaine par le ministère des Affaires étrangères, mais qui disculpait Dreyfus ; la traduction définitive, passée au crible de la contre-épreuve de Sandherr[3], ils rejettent tout ce qui ne vient pas à l’appui de leur idée préconçue. Il n’y a de vrai pour eux que le faux, pourvu qu’il serve leurs passions et leur intérêt.

Sandherr, prisonnier de sa contre-épreuve, disait aux diplomates qu’il était d’accord avec eux[4] ; mais, entre officiers, il exprimait des doutes[5] ; il fut associé,

  1. Rennes, I, 60, Paléologue. — Le jour même où le feuillet fut communiqué à Sandherr, on intercepta une nouvelle dépêche qui portait le numéro 914.
  2. Rennes, I, 52, 56, Delaroche-Vernet ; 59, 60, Paléologue.
  3. Voir t. Ier, 249.
  4. Cass., I, 395, Paléologue.
  5. Rennes, II, 228, Du Paty. (Note de Du Paty remise, de sa part, à Mercier, et par Mercier à Chamoin.)