Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/641

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
635
LA CHUTE DE MÉLINE


seil d’enquête de région « pour faute grave contre la discipline[1] ».

Deux jours plus tard, l’inculpation fut changée : « Pour avoir, en dehors de la période d’activité, publié contre ses chefs un article injurieux. » Billot s’était aperçu que la première formule ne pouvait être appuyée d’aucun texte ; il invoquait, pour étayer le second, un décret de 1878[2].

Toute la force de cet article, sur les Enseignements de l’Histoire, était dans l’idée, qui me hantait depuis longtemps[3], que l’Allemagne choisirait son heure pour sortir la preuve décisive du crime d’Esterhazy, les cent et quelques lettres du traître qu’elle avait à Berlin, et pour les lancer au visage de l’État-Major, à la veille d’une guerre. Il existait un précédent terrible qui aurait dû être inoubliable et que je racontai. Comme Bismarck l’avait fait en 1870 pour la note de Benedetti sur la Belgique[4], quelque successeur du chancelier de fer

  1. Mon mandat expira le 31 mai ; mon article sur les Enseignements de l’Histoire parut le 4 juin ; l’annonce de l’interpellation de Castelin à mon sujet fut publiée dans le Jour du 8 ; l’ordre de me déférer à un conseil d’enquête est du 12.
  2. Le paragraphe 9 de l’article 22 du décret du 31 août 1878 vise le cas d’un officier de la réserve ou de l’armée territoriale qui, « en dehors de la période d’activité, aurait adressé à un de ses supérieurs militaires ou publié contre lui un écrit injurieux ». Ici encore, dans la seconde convocation qui me fut adressée, le texte du décret fut arbitrairement modifié.
  3. Elle obsédait aussi Zola qui s’en expliqua plus tard. (Aurore du 12 septembre 1899.)
  4. Le 20 août 1866, Benedetti, ambassadeur de France à Berlin, avait communiqué à Bismarck, sous la forme d’un traité d’alliance, un projet de l’Empereur relatif à la Belgique : il demandait à la Prusse le concours de ses armées pour s’emparer de ce pays neutre. Bismarck demanda à Benedetti une copie de ce traité. Le 29 juillet 1870, il l’annexa à la circulaire qu’il adressait aux puissances pour dénoncer la mauvaise foi du gouvernement impérial.