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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


titude ; puis, ce projet, si noble, de laisser au Gouvernement « le mérite d’être juste en réparant une erreur » ; « tout en faisant son œuvre, il disparaîtra lui-même », sans même « l’ambition de se faire gloire d’avoir apporté la vérité » ; enfin, l’amère déception quand il trouva les cœurs sourds, et ce silence, « souverainement beau », depuis les longs jours « où tout un peuple affolé le suspecte et l’injurie ». « Dressez donc cette figure-là, romanciers ! » Lui, « dont c’est le métier de se pencher sur les consciences », il salue cet homme, cette vie nette, « de cristal », sans une tare, sans une défaillance. Heure triste où de tels citoyens, l’honneur d’un peuple, sont méconnus, où, « la délation étant partout, les plus purs et les plus braves n’osent faire leur devoir, dans la crainte d’être éclaboussés » ! « La nation entière semble frappée de folie, lorsqu’un peu de bon sens remettrait tout de suite les choses en place. » Mais « la vérité est en marche et rien ne l’arrêtera plus ».

Zola, malgré ses millions de lecteurs, n’était pas populaire. Dans son œuvre immense, où il a voulu tout peindre, il a montré trop souvent le bas et le répugnant de la nature humaine ; de plus, il voit gros et cette main puissante est lourde. L’auteur de tant de tableaux hideux ou sales est bon, compatissant à la misère, indulgent, encore tout vibrant, bien qu’il s’en défende, de l’idéal romantique. Et cette âme, parfois naïve, simple, très droite, très honnête, si vous avez le fil conducteur, vous la retrouverez dans tous ses livres, même dans ceux qui ont causé le plus de scandale ou de dégoût. Mais le lecteur ordinaire ne l’y découvre pas, ni même des critiques pénétrants. Leur sens du beau s’irrite de cette recherche perpétuelle du laid, leur goût de la propreté se révolte contre tant d’ordures, leur