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L’ENQUÊTE DE PELLIEUX


pudeur contre trop d’indécence et, sans qu’ils osent se l’avouer, leur inquiète conscience contre une si terrible divination de ce qu’il y a de boue au fond de la bête humaine. On lui pardonnerait de montrer l’homme nu ; il montre l’homme intérieur. « Je sais, disait un moraliste, ce que c’est qu’un honnête homme : c’est affreux ». Zola le sait trop. D’ailleurs, sans autre philosophie qu’un lourd fatalisme physiologique, il ne connaît que les forces aveugles de la nature ; il n’aime, n’adore que les énormes symboles. Et, comme il n’est épris que de vérité (bien qu’il lui arrive souvent de prendre l’exception pour la règle et qu’il généralise, lui qui a fait des méthodes expérimentales sa poétique, avec une injuste promptitude) ; comme nul ne fut jamais moins courtisan, ni des puissances d’en haut, ni de celles d’en bas, ni des soldats, ni du prêtre, ni du paysan ou de l’ouvrier, ni du bourgeois ou de l’artiste, ni de l’argent, ni du travail, ni même de la Vertu fragile et de l’éphémère Beauté ; et comme il dit crûment, avec une brutalité voulue, ses visions et sa pensée, chacune de ses vingt mille pages lui a fait, et successivement dans toutes les couches sociales, des milliers d’ennemis. Tous, les uns après les autres, l’ont accusé de les avoir calomniés. Encore s’il avait pris l’adroite précaution de montrer, comme dans les livres d’enfants, le bon élève bien sage à côté du méchant garçon. Mais ce n’est pas sa manière, et, s’il s’essaye dans la pureté, il la fait impure. Dès lors, de longues rancunes, de sourds désirs de vengeance, couvaient contre lui dans toutes les classes comme dans tous les partis, parmi les aristocrates et dans la démocratie, chez les amis comme chez les exploiteurs de ce peuple qu’il a, tout à la fois, méconnu et connu trop bien. Comme l’étranger dévorait ses romans et croyait y trouver une peinture d’autant plus exacte qu’elle était plus