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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


cruelle de la France, il n’y avait pas seulement des rhéteurs, mais d’innombrables braves gens pour détester dans cet Italien d’hier un détracteur de son pays d’adoption. Parce qu’il a raconté la débâcle de l’armée comme un géologue dirait la débâcle d’un glacier ou d’une montagne, avec la même sérénité scientifique et épique, il a commis un crime contre la patrie. Et ce poème de l’armée vaincue, d’année en année, lui a été reproché avec plus de fureur, parce qu’il avait, dans ses deux derniers ouvrages, analysé l’hystérie religieuse de Lourdes avec la même science impitoyable que l’alcoolisme de « l’Assommoir », et disséqué la Rome papale avec le même scalpel aigu que le Paris des « Rougon-Macquart »[1]. Les moines, plutôt que de l’excommunier comme impie, ameutaient plus sûrement contre lui en le dénonçant comme un mauvais Français. Naguère, irrités de ce manque de goût qui est, parfois, le propre du génie, des artistes délicats, des classiques sévères ont durement traité Zola. « Sa gloire est détestable. Jamais homme n’a fait un pareil effort pour avilir l’humanité. Jamais homme n’a méconnu à ce point l’idéal des hommes. Son œuvre est mauvaise, et il est un de ces malheureux dont on peut dire qu’il vaudrait mieux qu’ils ne fussent pas nés[2]. » On va décrocher ces vieilles armes.

  1. Cassagnac : « De ses mains impures, qui essayèrent de souiller la Lourdes de Marie et la Rome de Saint-Pierre,… etc. » (Autorité du 16 janvier 1898.)
  2. Anatole FRANCE, La Vie littéraire, I, 236, article sur la Terre qu’il appelle « les Géorgiques de la crapule » : « M. Zola ignore la beauté des mots comme il ignore la beauté des choses… Il n’a pas de goût… Il a comblé cette fois la mesure de l’indécence et de la grossièreté. » Jugement non moins sévère sur le Rêve : « S’il fallait absolument choisir, à M. Zola ailé, je préférerais encore M. Zola à quatre pattes… Il tombe à chaque instant dans l’absurde et le monstrueux. » — Ranc n’avait pas