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L’ENQUÊTE DE PELLIEUX


C’était l’étrange fatalité qui pesait sur Dreyfus qu’aucun homme populaire n’embrassât sa cause et qu’aux haines, factices ou sincères, qui pesaient sur lui s’ajoutassent toutes les haines qu’avaient accumulées ses défenseurs.

Mais, aussi, cette parole de Zola était si haute et si claire, elle sonnait, après un silence si prolongé, avec un tel éclat que tous ceux qui étaient convaincus de l’innocence de Dreyfus ou qui en avaient seulement le soupçon, furent réconfortés et ceignirent plus fortement leurs reins pour la lutte.

Comme tous les hommes qui ont beaucoup d’ennemis, Zola avait des amis passionnés ; ils le suivirent. Une partie de la jeunesse des écoles, petite minorité encore, mais énergique et résolue, fut secouée d’un premier frisson.

Zola, insensible depuis longtemps aux injures, riposta aux attaques par un second article[1], et, cette fois, alla droit au monstre lui-même, au fantôme du « Syndicat ». Il empoigne, sans peur des représailles, les inventeurs de la légende : les bureaux de la Guerre, qui s’obstinent à couvrir les personnages compromis », et, surtout, « cette presse immonde, où se mêlent les passions et les intérêts les plus divers », et qui, volontairement, a déchaîné « la folie publique ». Puis, tout

    été moins dur pour l’Assommoir : « Les travailleurs n’y valent pas mieux que les fainéants… Paresseux ou non, ivrognes ou non, hommes et femmes, les personnages de M. Zola sont également répulsifs… Dans tout ce monde, qui grouille en pleine boue, pas un éclair d’intelligence ni d’esprit… Le peuple ne sent pas si mauvais que cela… Je me rappelle, en mai 1871, un bataillon qui défilait sur les boulevards. Les fédérés, revenant des avant-postes, marchaient d’un pas leste, une branche de lilas fleuri au bout du fusil. Il y a des fleurs au faubourg, mais M. Zola ne les a pas vues. »

  1. Figaro du 1er décembre 1897.