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CHAMBRES RÉUNIES


légende s’est formée autour de ce dossier : Il suffit de l’ouvrir pour avoir aussitôt la certitude absolue de la culpabilité ; comme c’est loin de la réalité ! »

Ce qui se dégageait de cet exposé, c’était une impression écrasante, affreusement douloureuse, d’évidence : Comment Dreyfus a-t-il pu être condamné ? comment sa condamnation a-t-elle pu être si longtemps maintenue ? Certainement, les dernières ténèbres démoralisantes du doute vont s’évanouir.

Il régnait un grand silence dans l’auditoire ; on y voyait les figures connues du procès Zola, des avocats, des intellectuels, beaucoup de femmes ; mais l’air de bataille s’était évaporé ; le respect planait, quelque chose de presque religieux.

Ballot-Beaupré rechercha ensuite « les arguments principaux que pourrait développer un mémoire de la partie adverse, s’il y en avait eu dans l’instance », et il avait mis à ce travail d’école toute son ingéniosité d’esprit, son scrupule de ramasser tout ce qui pouvait avoir l’air d’une excuse ou d’une preuve.

En premier lieu, une subtilité juridique : « En admettant qu’il y ait eu communication irrégulière des pièces secrètes (surtout de la pièce Canaille de D…, inapplicable, selon Cavaignac et Cuignet eux-mêmes), le fait pourrait donner lieu à annulation, non à revision. »

En second lieu, impossible de conclure, en droit, des faux avérés d’Henry, qu’il a été un faux témoin en 1894 ; « la certitude du faux témoignage ne peut résulter que d’une condamnation ou d’une enquête » ; or, Henry est mort.

En troisième et dernier lieu, « la contradiction entre les experts, dans une matière où les plus habiles sont sujets à erreur, ne peut pas être une présomption