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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


nière analyse s’accorderait avec sa propre conviction » ; mais combien cette espérance était fragile ! comment n’en eut-il pas conscience ?

Pourquoi ces soldats ne s’obstineraient-ils pas à croire Dreyfus coupable, puisque les généraux, les grands chefs, continuaient à l’affirmer et que « l’honneur de l’armée » voulait qu’il fût, qu’il restât éternellement le traître ?

Le journaliste parisien Serge Basset, qui avait causé déjà plusieurs fois avec Esterhazy et avait été le témoin de ses fureurs, était un esprit alerte, sincère et informé. Il n’en était pas moins resté convaincu du crime de Dreyfus, et, quand des confrères essayaient de le convertir, il haussait les épaules[1]. Même la déclaration de Ballot-Beaupré lui laissa des doutes et, reparti pour Londres à la recherche d’Esterhazy, il espérait obtenir de lui quelque retentissant démenti. Il le trouva dans une de ses humeurs les plus noires ; sa femme avait demandé le divorce[2] ; les promesses qui lui avaient été faites n’avaient pas été tenues[3], ou il n’avait pas été répondu à de nouvelles demandes d’argent ; et le bandit se lamentait : « Je suis perdu, mes enfants vont être élevés dans la haine et l’horreur de leur père ; les généraux, pour qui j’ai tout sacrifié, m’abandonnent indignement ; c’est à se tuer, à se loger une balle dans la tête. » Basset lui conseilla de raconter plutôt quel

  1. Rennes, III, 384 et suiv., Serge Basset ; Matin du 3 juin 1899. La conversation de Basset avec Esterhazy eut lieu le 31 mai. Le 2 juin, Esterhazy renouvela ses déclarations à un rédacteur du Daily Chronicle et, le 4 à un rédacteur du Temps, Deffès. (Rennes, III, 409.)
  2. Le divorce fut prononcé, par défaut, au profit de Mme Esterhazy (9 juin 1899). Le jugement porte qu’Esterhazy servira à sa femme une pension de 600 francs par mois.
  3. Voir p. 33. — Précédemment, il avait renouvelé ses menaces dans sa correspondance avec Laguerre : « Je vous jure